Épisode 2 — La guirlande de Noël
Nous nous pincerions pour y croire.
À bord du véhicule, les têtes se tournent, les regards se croisent, les visages se décomposent, enfin pas tous. Des larmes perlent au coin des yeux. Des frissons parcourent les échines. Il y a, aussi, quelques sourires. Rien de sadique, certaines personnes parmi nous sont juste un peu plus philosophes ou poètes. Réjouissons-nous de les avoir avec nous. Leurs inspirations nous seront précieuses.
Mais revenons au tableau de bord. En réalité, ce que nous avons sous les yeux n’est plus un tableau de bord. C’est un stroboscope de discothèque sur une plage d’Ibiza. Tandis que les lumières crépitent, les premières questions vitales surgissent enfin. Comment ce bazar peut-il bien (mal) fonctionner ? Et surtout, qu’est-ce que ce tableau de bord essaie de nous dire ?
Chéri.e, passe-moi le mode d’emploi
Quand on ne sait pas, quand on n’est pas mécanos, on ne fait pas les malins. Excellent réflexe vital. Il n’y a qu’à écouter les gens qui savent, les scientifiques par exemple. Ni une, ni deux. Nous décidons d’exhumer le manuel d’entretien du véhicule et plongeons une main tremblante dans la boîte à gants, où il moisit depuis des lustres.
Voyons voir. Il semble en bon état. Il faut dire que nous ne l’ouvrons pas souvent. De quand date-t-il au juste ? C’est écrit sur la page de couverture : 2007, tout de même !
Atelier coloriage
Après l’introduction un peu technique, il y a un schéma composé d’une reproduction sur double page du tableau de bord et de ses voyants. Bleu, jaune, rouge, orange, vert : on peut colorier soi-même, excellente idée d’atelier pour occuper les enfants. Mais ne nous égarons pas.
Sur le schéma, chaque élément du tableau de bord est numéroté avec un renvoi de page. Pour chaque renvoi, le manuel propose un chapitre avec des explications générales et des conseils techniques. Par dessus nos épaules, plusieurs paires d’yeux, de tous âges, guettent fébrilement.
– Alors, ça dit quoi ?
– C’est grave ? On va tous mourir ?
– Quand est-ce qu’on redémarre ? Arrêtez d’avoir peur, bon sang. Je sais comment marche ce truc. Puisque je vous dis que le réservoir d’essence est plein ! #salades !
– Moi je m’en fiche, j’ai embarqué ma trottinette électrique dans le coffre.
– Ah oui ? Ta trottinette de bobo… Tu crois vraiment que c’est avec ce bidule que la maréchaussée va te laisser passer ?
Gazouillis et débat d’idées
Chassez le naturel, il revient au galop. En moins de temps qu’il n’en faut, l’habitacle est empli d’un concert de gazouillis désaccordés. Un vrai fil Twitter. Il est temps d’intervenir, sinon ça va tourner aux débats d’idées à la sauce Cnews.
– Attendez, attendez ! Tout doux ! Calmons-nous, de toute façon nous n’avons rien à faire jusqu’à la prochaine autorisation-de-sortie-pause-pipi… La situation est claire : le tableau de bord vient de nous déclarer la guerre. Vous m’entendez : la guerre ! Nous sommes en G-U-E-R-R-E. C’est une bombe. Il est urgent de, de, de…
– De quoi au juste ?
– …de nous ressaisir… de reprendre nos esprits… de faire preuve de cohésion, et de rester assis à nos places. Sortez les masques, on sait jamais, si ça se trouve tout ça va nous péter à la figure.– De quoi on nous parle là ? Les derniers masques, on les a utilisés pour dynamiter la roche qui nous empêchait de construire une piscine dans le jardin. Des masques, on n’en a plus. Fallait y penser avant, coco !
« On ne pourra pas revenir en arrière »
– Pas grave. De toute façon c’était une idée stupide. Ce n’est pas un masque qui nous protégerait.
– Oui, mais en attendant, ça clignote toujours devant nous. Il va falloir vérifier les voyants, un par un. Vous entendez, un par un ! Autant dire qu’on n’est pas sortis du confinement. Bon, commençons peut-être par ce voyant-là, en haut, en rouge. Il dit quoi le manuel ?
– Ça renvoie à la page 15. Apparemment, ce serait le voyant du Climat. Tiens, ça commence par une citation :
« Nous n’avons pas le choix. Les constats économiques, les constats scientifiques sur le réchauffement climatique sont sans appel. On pouvait hésiter sur les chemins de l’action quand on ne savait pas, aujourd’hui, on sait. Ne rien faire ne serait rien d’autre que criminel au regard de l’avenir de la planète, quelque soit le continent. L’inaction, ce serait accepter un point de non retour, franchi dès lors que le réchauffement moyen de la planète aurait augmenté de deux degrés. À deux degrés de plus, on ne pourra pas revenir en arrière. C’est maintenant, c’est tout de suite, c’est immédiatement qu’il nous faut décider ».
La prophétie de New York
Parfaitement synchronisés, nous expirons une grande bouffée d’air, en direction du coude plutôt que dans le visage du voisin ou de la voisine. Nous inspirons. Et reprenons la lecture.
« Personne ne peut imaginer laisser à ses enfants un monde condamné, un monde invivable. Au regard de l’Histoire, nous serons jugés, non pas sur nos discours, mais sur notre capacité à décider ».
Le manuel d’entretien manque de nous tomber des mains. Interloqués, nous sommes. Dès 2007, il y existait donc des prophètes visionnaires, qui annonçaient des points de non retour…
– Dites, c’est rudement anxiogène pour un manuel d’entretien de véhicule.
– Cette histoire de point de non retour, ça me fait penser : ce serait pas un peu comme le coronavirus des fois ?
– Et, on sait qui a écrit ces choses ?
– Oui, c’est signé…
(Épisode 3 à suivre bientôt)